Récits et anecdotes

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La légende des monnaies de Chevagnes

« En cette fin d’hiver de l’an de grâce 12… au gué de l’Acolin à Chevagnes, deux forts gaillards attiraient l’attention.

Ils auraient pu paraître menaçants, leur taille hors du commun, au moins six pieds de haut, leur carrure et le long et solide gourdin au bout ferré dont ils s’aidaient pour sauter de pierre en pierre portaient à réfléchir.

L’un était roux, l’autre blond. Des Saxons probablement.

Cette apparence sévère était vite corrigée par leur accoutrement. Longue houppelande au mantelet orné de coquilles Saint-Jacques, chapeau à fond de cuve, l’aile relevée par une coquille, sur l’épaule gauche un bissac, c’était évidemment deux pèlerins se rendant à Saint-Jacques de Compostelle. quelques-uns rejoignaient le long courant des voyageurs en passant par le Bourbonnais. A Chevagnes l’on en voyait de temps en temps.

Le gué franchi, nos deux hommes s’enquirent d’un lieu où ils pourraient se reposer et se réchauffer. Malheureusement pour les Chevagnois, les voyageurs s’exprimaient dans une langue inconnue à laquelle se mêlaient, toutefois, quelques mots de latin et de français.

Un jeune chevrier qui passait avec ses bêtes près du Puits Saint-Jean crut entendre à deux reprises : frater Athanase (célèbre moine Cistercien ; botaniste et chimiste).

Tout le monde connaissait le frère Athanase dont les études en botanique lui avaient permis de devenir un remarquable apothicaire. Sa renommée s’étendait à des lieues à la ronde.

Le galopin eut vite fait d’indiquer le chemin à suivre : le frère Athanase habitait un oratoire en haut de la côte, à main droite en sortant de Chevagnes, sur la route de Moulins. Il rentrait chez lui quand il vit arriver les deux étrangers.

L’hospitalité n’était pas un vain mot en ce temps là ; il les invita à entrer, les fit asseoir bien au chaud sur le banc dans la cheminée et leur proposa, en latin et par gestes, de partager son frugal repas : une soupe de fèves dans laquelle il mit son dernier petit bout de lard, une pomme flétrie et quelques noix. Un bien maigre souper !

Les Grâces dites, frère Athanase installa ses hôtes dans une petite pièce attenante, sur de grosses bottes de paille, de quoi dormir confortablement, à l’abri et au chaud.

Notre frère « botaniste » avait été frappé par la maigreur des deux hommes. « Je ne peux pas les laisser repartir sans rien à manger sur les chemins d’Auvergne, dans le froid et probablement… la neige ! C’est loin la Galice (Province du Nord-ouest de l’Espagne, capitale : Saint-Jacques de Compostelle) ».

Frère Athanase, ronchonnant et grognant, faisait les cents pas, tournait en rond, cherchant une solution.

Les deux pèlerins ne pouvaient quand même pas voyager sans provisions, ils n’iraient pas bien loin. Sur la fin de l’hiver, partout les réserves étaient rares, les portes ne s’ouvraient pas volontiers.

Tout à coup… Il lui sembla entendre… Une voix, une voix là, dans la pièce.

Cherchant partout, il ne vit personne et se traita de « beuzenaud de teunia ». « Tu vieillis Athanase, tu vieillis, il va falloir rentrer dans le rang à Citeaux ». De nouveau la voix se fit entendre, un peu plus fort : « Tu as mauvais caractère, Athanase, mais tu es bon, tu as pitié de ces saints voyageurs, allant jusqu’à partager ton bien pauvre repas avec eux ».

Athanase donnant des coups de pieds dans les murs s’écria : « Cornegidouille, cette fois-ci je vas devenir brament bredin ! »

« Mais non, mais non, calme toi et fais ce que je vais t’indiquer : ouvre la mée et prend quatre mesures de farine… »

Athanase ricanant : « il y a longtemps qu’il n’y a plus de farine ! »

« Vas, vas et ne te met pas en colère »

Uniquement par curiosité, le frère Athanase ouvrit la mée… Elle était pleine…!

« Vas au cellier, prend le beurre, les oeufs, le lait et n’oublie pas le miel et les noix ».

« Là c’est trop fort », dit Athanase, « toutes ces denrées là, cela fait tantôt deux mois que j’en ai plus vues. Puis à la fin des fins, qui parle ? Qui met la farine dans la mée ? Qui ? »

« Tu le sauras plus tard, prépare la pâte, ajoute quelques grains d’anis, roule la et découpe des petites « monnaies » avec ton gobelet d’étain ».

« Je vais y perdre mon latin, c’est que des diableries tout çà ! »

« Tais-toi et ne blasphème pas, enfourne les « monnaies », le four est chaud. Maintenant va te coucher tu as beaucoup et très bien travaillé ».

Ce furent les pèlerins qui réveillèrent le frère Athanase le lendemain matin. Se frottant les yeux, il revit comme en un éclair la scène de la veille. Quel drôle de rêve quand même !

Mais… Mais là… Sur la table, un reste de pâte, des noix, du beurre, du miel… Ce n’est pas un rêve tout de même !

« Par Saint Patafiol, vite le four, les « monnaies », elles doivent être toutes rousties ? »

Quelle surprise !

Elles étaient bien là, dorées et dégageant un parfum sublime.

Les voyageurs observaient leur hôte en souriant, lui trouvant un air bien guilleret et un peu bizarre.

Les « monnaies » furent défournées. Il y en avait, il y en avait… Les bissacs remplis, il en restait encore deux grandes corbeilles !!

Reposés et rassasiés, au moment de reprendre la route, les deux pèlerins répétaient à plusieurs reprises au frère Athanase que désormais, lui-même et son oratoire seraient sous la protection, toute particulière, de Saint Jacques.

Tout en grignotant une « monnaie », frère Athanase se demandait si par hasard la  » Voix » ne serait pas celle de Saint Jacques.

Quoiqu’il en soit, depuis cette curieuse rencontre, l’oratoire porta le nom de Saint Jacques et à l’heure actuelle, la belle maison bourbonnaise qui l’a remplacée porte toujours son nom.

Quant aux « monnaies », elles firent des heureux et servirent d’échange tout au long du voyage des pèlerins portant au loin la renommée de Chevagnes en Sologne bourbonnaise. »


« Les Monnaies » (marque déposée) régalent toujours les gourmands et gourmets qui font une halte à Chevagnes, chez M. et Mme Eric Bertoux, boulanger-pâtissier. A découvrir sans hésiter !